"Les yeux plus gros que le ventre"
Mon père et moi partons du col des tentes à 10h30. Je pensais partir 45 min
plus tôt mais 5 min perdues par-ci par-là nous ont vraiment retardés au bout
du compte. Contrairement à moi, mon père n'est pas équipé de crampons, mais
j'espère qu’il parviendra quand même à monter jusqu'à la Brèche de Roland.
La vue qui nous attend là-bas est, paraît-il, spectaculaire. J'ai beaucoup
de chemin pour cette première étape, mais au moment de partir, je ne m'en
rends pas compte. Je suis vraiment moins bien préparée que pour la
HRP... J'ai donc en tête de monter au Taillon, à l'ouest de la Brèche, avant
de repasser devant cette dernière pour descendre à Goriz. Un "3000" si
accessible, ça ne se refuse pas, surtout avec ce temps-là !
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Face nord du Taillon
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Nous marchons à bon rythme, sur un bon sentier, mais je peine un peu car
mon sac est très lourd (12kg avec le plein d'eau, moi je pèse 45 petits
kilos). Dès les premières centaines de mètres, nous apercevons une marmotte.
Puis nous voilà en un rien de temps au Port de Boucharo, qui donne sur
l'Espagne, et d'où la vue est déjà très belle. Le vert des prairies alpines
côtoie le jaune des genêts en fleurs, le gris de la roche et enfin le blanc
des neiges de début d'été. Un couple d'espagnols arrivant de San Nicolas de
Bujaruelo accepte de nous prendre en photo, puis continuent dans la même
direction que nous, vers le refuge des Sarradets (le refuge de la
Brèche).
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Vue depuis le Port de Boucharo
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Le sentier continue gentiment, jusqu'à atteindre le glacier du Taillon. Une
pente raide et enneigée, ponctuée de gros blocs de moraine rend l'usage des
crampons obligatoire. 11h45, mon père doit déjà faire demi-tour sans avoir
pu atteindre la Brèche, quel dommage... Je prends le temps de chausser mes
crampons fraîchement achetés, et il est midi quand je m'élance sur le
glacier enneigé. Ce sont mes premiers pas cramponnés ; j'avais voulu les
tester lors d'une rando avec Ludovic, randonneur expérimenté, mais je les
avais oubliés, la faute au réveil très matinal sans doute ! (Récit de cette
rando sur son
blog ). Du monde circule dans les deux sens. Heureusement, car je rencontre
rapidement des difficultés lorsqu'il faut passer par les moraines, en
escaladant. Je me débrouille sur la neige avec mes crampons, mais ne suis
pas du tout à l'aise une fois sur la roche. Là, je dois me hisser à la
verticale, avec tout le poids de mon sac ; je cherche en vain un passage,
finalement quelqu'un me hisse en me tendant une main plus que bienvenue.
Ensuite, la montée se passe au mieux jusqu'au refuge, avec un super soleil
et une superbe vue sur le cirque de Gavarnie.
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Passage du glacier du Taillon
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Pic, Tour et Epaule du Marboré
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La Brèche est maintenant toute proche, massive, imposante. Son accès est
totalement enneigé en ce 5 juillet. Elle est sillonnée par de nombreux chocards. Je m'étonne également, dans cet environnement enneigé, de trouver
plusieurs abeilles et autres insectes. Après quelques centaines de mètres
dans la neige, c'est le panorama tant attendu. Quelle claque ! Je ne suis
pas déçue. Il y a déjà l’horizon nord : le Pimené, puis le massif du
Néouvielle, lui aussi enneigé sur ses sommets. Mais c’est la vue vers le sud
qui est saisissante : un immense massif calcaire (le plus haut
d’Europe !) s’étend devant le canyon d’Ordesa que l’on devine. Je suis
friande de paysages minéraux comme celui-ci.
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La Brèche de Roland
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Vue au sud de la Brèche : Descargador, canyon d'Ordesa
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Je mange un bout devant ce spectacle, puis après une brève hésitation (il
est déjà 14h20), m'élance vers le Taillon. Je ne rechausse pas les crampons
malgré un passage en haut d'un névé pentu, les pas sont déjà un peu tracés
par les autres randonneur.se.s. Vers 15h, peu après le doigt de la fausse
Brèche, dont le contournement demande un tout petit peu d'attention, le
sentier monte abruptement. Le poids du sac et l'altitude rendent ma
progression très difficile jusqu'au sommet, que j’atteins à 15h30. Mais que
ça en vaut la peine ! Une fois de plus, le panorama est incroyable. La
température est exceptionnelle puisque que je suis en T-shirt à 3144 m. Je
passe un moment en compagnie de 4 espagnols très sympathiques (dont les deux
du Port de Boucharo) ; nous en profitons pour nous prendre en photo les
uns les autres. Une niverolle alpine
pointe alors le bout de son bec (mais elle repart avant que j’aie le temps
de la photographier).
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Doigt de la fausse Brèche que l'on contourne par le nord
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Vue sur la crète Brèche - Marboré - Perdu
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Presque 16h, je vois au loin le refuge de Goriz et me dis qu'il est grand
temps de partir d'ici. La traversée Brèche-Taillon ne nécessite pas les
équipements de neige, en revanche je dois bien ressortir crampons et piolets
pour descendre sous la Brèche. Il est déjà 17h, cela commence à m'inquiéter.
Personne n'emprunte le même itinéraire que moi à présent, je me retrouve
seule. Il fait très beau, mais tout de même je voudrais arriver assez tôt,
pour avoir un bon emplacement de tente, me doucher, etc. La traversée dans la
neige molle se passe bien, mais alors que je dois approcher du fameux Pas des
isards, je me demande si je ne l'ai pas manqué. Je n'ai rien vu qui ressemble
à sa description : un passage exposé, avec des chaînes. Ne sachant pas s'il me
reste des névés à traverser, je n'ose pas retirer mes crampons, et marche avec
sur la roche, ce qui est très peu commode... Puis, alors que je suivais des
cairns, je finis par perdre leur trace et dois improviser. Je ne sors pas la
carte car j'aperçois clairement le col du Descargador, mon prochain objectif.
Affaiblie par la soif, mes réserves étant à sec, je trouve par bonheur un
point d'eau. A cette altitude, je la bois telle quelle, pas de risque ! Me
voilà un peu requinquée. Après une petite errance, je finis par retrouver le
sentier qui est à présent très bon, une véritable autoroute quasi-horizontale
au-dessus du Pla de Milaris. Mes jambes me portent mais je manque d'énergie,
de glucose. Mais vu l'heure tardive (19h !), je n'écoute pas mon corps et
continue d'avancer sans m'arrêter grignoter. Je surprends un isard qui, après
s'être éloigné un peu, me fait comprendre que je l'ai surpris et dérangé par
un renâclement. Vers 20h, à mi-chemin entre le col de Milaris et le refuge, je
finis par m'arrêter grignoter, car je suis vraiment à bout de forces. Au
demeurant, la soirée est agréable, le soleil continue de me chauffer, et le
décor est à présent verdoyant. Des marmottes surgissent de toutes parts au fil
de mon avancée ; je m'intéresse à peine à elles : je veux juste
arriver. C'est chose faite à 20h30. Il faut faire l'impasse sur la douche. Je
vais en premier lieu récupérer ma tente, puis manger, et enfin installer le
bivouac. Que ce fut long ! Le refuge et ses alentours sont bien peuplés, les
tentes fleurissent car le refuge est complet. Il est très prisé en temps
normal, mais cette année c’est encore plus compliqué avec les mesures covid-19
qui imposent des places vides dans les dortoirs. C’est donc à la seule
condition de refuge complet que le bivouac est autorisé, car nous sommes dans
un parc national. J’ai peu le temps de discuter avec les autres
randonneur.se.s ce soir, trop affamée, et prise de court par la nuit qui
tombe. Ce n’est que partie remise !
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En se retournant depuis le col du Descargador : le Taillon et le
doigt de la fausse Brèche
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