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Etape 3 : Torla - Refuge de Goriz

Aujourd'hui, pas d'hésitation : je vais à nouveau faire du stop pour rejoindre la prairie d'Ordesa. Je me poste donc en face de l'hôtel, masque chirurgical sur le visage et pouce levé. Une voiture ne tarde pas à s'arrêter, cette fois-ci c'est une famille composée de deux parents, une jeune fille et un petit chien qui ont la gentillesse de me conduire jusqu'au départ de mon étape. Eux vont se balader dans le canyon d'Ordesa à la journée, nous partons donc tous du parking de la Pradera. Il est un peu plus de 9h. Pour prendre le sentier qui grimpe à la Vire des fleurs, il faut revenir un peu sur ses pas depuis le parking. L'étape démarre comme elle s'est terminée hier : à l'ombre dans la forêt, mais de l'autre côté de la vallée cette fois. La pente est toujours aussi raide : quelques 1000m me séparent du début de la Vire, sur une courte distance. Je partage le sentier avec des traileuses, qui me dépassent bien rapidement en courant, et quelques rares randonneurs. Je sors de la forêt vers 10h au milieu des iris des Pyrénées et découvre alors le Tozal de Mallo (2255m), ce drôle de promontoire vertical, éclairé par le soleil du matin. Un ami m'a fortement recommandé de m'y rendre avant de revenir vers Goriz, mais l'étape étant longue, je ne suis toujours pas sûre d'avoir le temps de réaliser ce petit détour. Quoi qu'il en soit, il est déjà magnifique vu d'en bas.
 

Tozal del mallo depuis la lisière de la forêt

Le Tozal del Mallo (à gauche) vu depuis la lisière de la forêt 

Le sentier évolue à présent en plein soleil et au milieu des genêts. Avant d'arriver à la Vire des fleurs, une difficulté m'attend : un passage difficile, au choix entre les clavillas de Carriata (broches plantées dans la roche afin de permettre le passage), que je n'ose pas entreprendre avec mon gros sac et sans mousquetons ; et la fajeta, vertigineuse mais moins technique. Mais je n'y suis pas encore : il y a encore un peu d'approche, et je piétine un peu à une bifurcation, ne voyant pas le "chemin" qui part à la verticale dans un passage où il faut s'aider des mains pour grimper. Une flèche l'indique pourtant mais ne voyant pas du tout le sommet du passage, je m'égare temporairement en continuant sur un sentier de chèvre (voire d'isard vu l'étroitesse) qui ne débouche nulle part. Finalement, cette zone en contrebas du cirque de Carriata est très verticale et il vaut mieux avoir les mains libres par endroits. Je finis par atteindre à 11h30 le début de la fajeta, itinéraire que j'ai donc préféré aux clavillas. C'est une étroite vire à flanc de montagne, équipée d'une main courante durant quelques dizaines de mètres pour nous protéger du vide qu'elle surplombe. Arrivée au Barranco de Salarons, le ruisseau qui naît en-dessous du cirque, me voilà à nouveau bloquée ; il y a une sorte de marche haute qui mène à la suite du sentier si l'on peut l'appeler ainsi, mais je ne suis pas sûre pour autant qu'il faille passer par là, car comme quelques minutes plus tôt, le passage ne saute pas aux yeux. Je cherche à me hisser mais je n'y parviens pas : c'est haut pour moi et surtout, le ravin est tout proche et je ne peux pas trop me permettre d'acrobaties... Mon chargement ne m'aide pas, je n'arrive pas à monter et surtout j'ai un doute sur le fait que ce soit le bon passage. Je reviens un peu sur mes pas, cherche un autre passage, attends, fais des aller-retours, désespère. Si seulement quelqu'un pouvait venir m'aider ! Malheureusement je crois que les personnes aperçues sur le sentier en contrebas se sont dirigées vers les clavillas... Je ne vais quand même pas devoir renoncer à cette étape magnifique à cause d'une difficulté que je n'ai vue mentionnée nulle part ! Puis au bout de quelques instants, ça y est, une petite famille arrive à mon niveau. Hourra ! Deux espagnols et leurs deux filles (la plus petite doit avoir 6-7 ans !) marchent d'un pas décidé et assuré. Je leur explique mes difficultés, ils passent donc devant moi par la marche que j'essayais de gravir, et me tendent la main pour que je me hisse à mon tour. C'est fou, c'est la deuxième fois que cela m'arrive en moins de 3 jours, je me sens vraiment empotée, comment se fait-il que je n'arrive pas à passer alors que les autres oui, est-ce ma petite taille, mon sac trop lourd et imposant ? Probablement un peu des deux. Ce passage était constitué de gradins étroits et donnant sur le vide, je ne trouvais pas la solution. Nous continuons tous les 5, je passe derrière la petite famille qui progresse bien vite, les parents chargés de gros sacs ou de porte-enfant, et l'aînée toute à son aise sans sac à dos et les mains libres (je l'envie !) dans cette muraille rocheuse. Elle est impressionnante tout de même. Il faut s'aider copieusement des mains jusqu'au cirque de Carriata, et je me demande si les clavillas sont vraiment plus techniques, en fin de compte.

Des isards bien curieux...

Les isards sont très curieux par ici !

12h30, nous voilà enfin dans le cirque. Il reste cependant un peu moins de 200m de dénivelé avant d'atteindre le début de la tant attendue vire des fleurs. Je laisse mes sauveurs au niveau du cirque et vais prendre ma pause déjeuner là-haut. Depuis ce replat calcaire, on aperçoit le Pic de Gabietou, relié par un col du même nom au Taillon, ce dernier franchi l'avant-veille. Alors que je reprends des forces, un homme s'approche, un athlétique montagnard de 75 ans en mode marche légère. Nous nous interrogeons sur nos itinéraires respectifs, comme je le fais souvent pour trouver des compagnons de route. Lui était parti en reconnaissance pour une future randonnée jusqu'à la vire des fleurs, mais en partant du col des tentes, cela lui fait une belle trotte ! Il est béarnais, montagnard aguerri et m'encourage chaleureusement dans mon périple. Nous discutons de l'enneigement du secteur : de mémoire d'homme dit-il, il n'a jamais vu une telle quantité à cette époque de l'année. Il est vrai que même sur les versants sud, les quantités sont importantes ! Alors que nous parlons, j'aperçois du mouvement du coin de l’œil : un isard s'approche de nous, puis deux, puis trois. Ils nous observent d'un air bien curieux, s'avancent sur des rochers en hauteur pour mieux nous toiser. L'appareil photo passe en mode mitraillette. Tout comme les névés, les isards ne sont pas encore totalement passés en mode estival, il leur reste une bonne quantité de leur pelage d'hiver.

Gabietou Faja de las flores

Le Pic du Gabietou

Vire des fleurs

Le départ de la Vire des fleurs

Après avoir passé un petit moment à nous observer mutuellement avec les isards, et une fois mon repas terminé, je décide de m'engager sur la vire des fleurs. Il est effectivement 14h, hors de question d'aller au Tozal del Mallo maintenant, d'autant que j'ai dépassé le sentier qui y menait, en contrebas. La distance qu'il me reste à parcourir jusqu'au refuge de Goriz n'est pas négligeable (10 kilomètres environ).

Tozal del Mallo

Le Tozal del Mallo, et la Peña de Otal depuis la Vire des fleurs

La vue est magnifique, je surplombe le Tozal del Mallo, aperçois de nouveau la Peña de Otal, les pentes à la fois verdoyantes et jaune vif par endroits des reliefs alentours. Le plus impressionnant reste le vide en contrebas, la pente abrupte sur toute la longueur du canyon. La vire des fleurs est une corniche creusée dans la montagne au bord du précipice. C'est loin d'être la corniche la plus étroite que j'ai vue, mais l'effet est garanti avec un paysage pareil. On peut la parcourir tranquillement, on se sent en sécurité sur le "large" sentier. En cette période de fonte des névés, l'eau ruisselle de la partie supérieure de la corniche. J'en profite, et bois quelques petites gorgées au passage, mieux vaut ne pas se priver quitte à avoir des restes dans la gourde à la fin de la journée. Soudain, quelque chose attire mon regard dans le ciel. Un très grand rapace de type vautour, à la queue cunéiforme... Il est reconnaissable entre tous, c'est bien le gypaète barbu ! Un de mes oiseaux préférés : relativement rare, surtout dans les Pyrénées qui ne comptent que 160 couples, c'est aussi le plus grand rapace d'Europe. Son régime alimentaire de charognard exclusif, consommant même les os, fait de lui l'ultime nettoyeur des montagnes, et lui vaut le surnom de "casseur d'os." Celui-ci me gratifie de quelques aller-retours avant de disparaître derrière la roche qui me surplombe.

Quebrantahuesos

Le gypaète barbu !!


Cotatuero descargador et Marboré

De bas en haut : Cirque de Cotatuero, Cirque del Descargador, Epaule, Pic et Cylindre du Marboré

Je chemine durant une heure et demi le long de la vire, qui se poursuit avec la vue sur le cirque de Cotatuero, dominé par le cirque del Descargador et les pics de Marboré. J'observe à nouveau des edelweiss au bord du sentier, ainsi qu'un accenteur alpin. Ce superbe itinéraire tient toutes ses promesses, tout en restant assez peu fréquenté, même si c'est sans doute dû à la crise sanitaire. Je rencontre tout de même quelques randonneurs espagnols (certains croisés la veille), un grand groupe et une petite famille de français.

15h30, me voilà à présent devant un autre monument géologique : le grand lapiaz d'Esmoladera. Il s'étend au pied du Descargador (2625m) et la brèche de Roland (2807m) franchie deux jours auparavant. Il faut traverser ce labyrinthe calcaire parsemé de failles et de crevasses, en s'aidant des cairns qui le parsèment. Je m'arrête à nouveau dans mon élan : de nombreux isards se montrent, une fois de plus. Toujours plus curieux, s'approchant toujours plus près, je n'en reviens pas. Je commence un peu à sentir la pression de l'heure qui tourne, mais comment ne pas s'attarder à les observer, à les photographier ? Ils rivalisent de poses majestueuses au-dessus de nous.

Isard Ordesa
En voilà encore un qui me surveille...

Je finis par m'engager sur le lapiaz. J'ai laissé toute compagnie humaine derrière moi, les uns restant au niveau du cirque de Cotatuero pour bivouaquer, les autres redescendant vers la prairie d'Ordesa. La traversée se déroule sans encombres, je l'effectue en visant le nord. Mais entre les observations d'isards et les pauses photos/ grignotage, il est à présent 16h30 lorsque j'atteins l'autre côté. Je suis censée continuer vers le nord et contourner le Descargador par l'ouest, avant de bifurquer plein est, rejoindre le col de Milaris et ainsi retrouver le sentier de l'avant-veille jusqu'à Goriz. C'est en tout cas ce que j'avais prévu. Mais d'une part, je ne repère pas le sentier grimpant dans les karsts, et d'autre part je visualise inconsciemment le refuge de Goriz à l'est, et me dirige instinctivement dans cette direction. Je me retrouve alors dans une sorte de grande prairie d'altitude, et passe au sud du Descargador. Je me sens bien seule et pas sûre de mon itinéraire. C'est dans ces moments-là que l'on aime croiser du monde. Mais je ne rencontre qu'une petite famille d'isards, deux adultes et un jeune, que j'effraie bien plus que les autres specimens vus dans la journée. Décidément, je suis venue randonner dans le Parc d'Ordesa pour des formations géologiques uniques, mais la faune et la flore ne sont pas en reste ! Je me souviendrai de cette abondance et de cette diversité, c'est la cerise sur le gâteau.

Lapiaz de la esmoladera

L'impressionnant lapiaz de la Esmoladera, le Taillon et la brèche de Roland au fond

Bien qu'en possession de ma carte 1/25000e, je ne comprends pas bien où je me trouve. J'ai trop fonctionné avec ma boussole interne, qui m'amène dans la direction du refuge mais pas pas l'itinéraire prévu, et je suis confuse. J'erre quelque peu dans la "prairie" qui se trouve être le cirque du Descargador, il y a bien quelques cairns, quelques semblants de sentiers dans l'herbe, mais ils me semblent monter à la punta Tobacor ou au pic de Milaris, je ne trouve pas mon chemin. Je finis tout de même par comprendre où je suis passée et cherche donc à remonter vers le nord retrouver le col du Descargador. Il me faut encore tatonner un peu, trouver enfin un passage par le bas du Barranco Rivereta, avant de le quitter pour tracer en diagonale jusqu'au col. Un hélicoptère vient troubler le silence qui règne en se posant sur le Descargador, j'espère que rien de grave n'est arrivé. A 18h30, j'aperçois soudain le sentier, et des randonneur.se.s ! Enfin me voilà sur le chemin que j'ai emprunté l'autre jour, il n'y a plus qu'à dérouler jusqu'au refuge. C'est fou mais malgré toutes ces heures de marche et ces errances, malgré l'heure qui tourne, mes jambes répondent toujours présentes, elles semblent capables de me porter jusqu'au bout du monde ! C'est une sensation assez jouissive que de se sentir en pleine possession de ses moyens physiques, sentir son corps qui répond, quoi qu'il arrive. La montagne me renforce !

J'adresse donc un grand sourire de loin aux randonneur.se.s, trop heureuse et soulagée de voir le bout de cette journée et de ne pas m'être perdue. J'ai envie de partager mon expérience avec d'autres personnes, je les regarde donc pour les saluer et les rattrape en vitesse. Mais je me fais tout bonnement ignorer ! Les 4 sexagénaires (à vue d’œil) tracent leur route sans plus de considération pour moi. Eh bien... tant pis ! Je finirai donc cette journée en solitaire.



Etape 4 : Ascension du Mont Perdu

Après une nouvelle nuit sous la tente, un peu inconfortable cette fois-ci, je me sens tout de même en peine forme pour attaquer cette nouvelle journée. Il le faut car c'est aujourd'hui que je m'attaque au 3e sommet des Pyrénées, avec ses 3355m, j'ai nommé le Mont Perdu ! Ce n'est pas tant le dénivelé qui m'impressionne, 1180m étant tout à fait dans mes cordes ; mais plutôt le passage du très raide couloir menant au sommet, réputé pour demander beaucoup d'attention, et enneigé en cette période. 

Je démarre à 9h passées de quelques minutes, après avoir déchargé une grande partie de mon barda dans un casier (payant) du refuge, puisque je reviendrai à nouveau y passer la nuit. Me voilà toute légère pour cette ascension de haute altitude ; voilà qui devrait faciliter un peu les choses ! La montée au Taillon trois jours auparavant s'était faite dans la douleur, j'étais alors écrasée par le poids du sac et en manque d'oxygène pour mon premier jour à 3000m.

Je constate que je suis la dernière à partir pour l'ascension, plusieurs randonneurs sont déjà partis en direction du Perdu, mais je les ai tous perdus de vue à présent. Il est en effet un peu tard, mais la journée ne s'annonce pas bien longue avec 4h d'ascension théoriques et une descente qui devrait être bien plus rapide. Mais c'est surtout le temps clément prévu par la météo qui me rassure sur cet horaire de départ.

Sous le Cylindre du Marboré

Sous le Cylindre du Marboré

Pour commencer il suffit de partir du refuge en suivant l'axe du Barranco de Goriz. Seulement voilà, je me positionne un peu trop au sud-ouest du refuge, côté terrasse, et ne trouve que le GR11 qui va vers le col de Arrablo. Je m'y engage mais retourne en arrière voyant que la direction est mauvaise. Je n'aperçois toujours pas de sentier partant en direction du Mont Perdu, je piétine un peu puis repars à nouveau sur le GR11. Je décide cependant de m'en éloigner en suivant quelques cairns ; je prends la tangente en espérant finir par croiser le bon chemin. Après un léger détour sur ce semblant de sentier et quelques coupes dans l'herbe, je trouve enfin le balisage qui mène à mon objectif du jour.

Je m'élève rapidement pendant une heure environ, jusqu'à rencontrer un petit passage technique : il faut se hisser à l'aide d'une corde le long d'une petite paroi verticale. Le plus délicat est peut-être de ne pas se faire d'entorse à la cheville sur les quelques pierres bancales placées au départ. Elles ont été amoncelées ici pour permettre de gagner un peu de hauteur, afin de franchir l'obstacle. L'ascension continue et les névés apparaissent aux alentours de 2900m, sur ce versant plein sud. Je chausse alors les crampons pour traverser cette neige déjà ramollie, et aperçois enfin au loin d'autres randonneurs que je semble rattraper. Au bout de 2h20 de montée au lieu des 3h annoncées, je parviens à l'étang glacé, situé entre le Cylindre du Marboré et le Mont Perdu. Son niveau semble être au plus bas, il est ridiculement petit en ce début de mois de juillet, à la fois glacé et recouvert de neige.

Ultime montée au Mont Perdu

Le raide couloir menant au sommet

Je retrouve alors quelques randonneurs, certains qui redescendent déjà de leur ascension, d'autres en chemin vers le sommet, comme moi. Nous nous trouvons donc au pied du fameux couloir final, bien enneigé, et effectivement très pentu. Il faut commencer par cheminer sur une petite crête sur la droite, puis changer de côté et longer la partie gauche du couloir. Le chemin est matérialisé par les profondes traces de pas des uns et des autres. Comme tout le monde l'emprunte et que le souffle est rendu difficile par l'altitude et la pente, cela forme un goulot d'étranglement. Ceux qui montent n'ont pas tous le même rythme et il faut réussir à croiser en sécurité ceux qui descendent. Chacun avance donc très précautionneusement dans ces ultimes 360m de dénivelé. Trois espagnols sont carrément encordés, et équipés de casques. Mon premier réflexe est de me dire que je suis inconsciente de ne pas avoir fait de même, que je suis insuffisamment préparée, puis, tout de même, j'observe tous les autres et constate qu'aucun n'est équipé de la sorte. J'hésite à doubler la cordée que j'ai rattrapée sans trop forcer, mais je me ravise et reste derrière, économisant mon souffle et assurant chacun de mes pas. Au fur et à mesure que je croise des randonneurs, j'ai la vague sensation d'être perçue comme inconsciente au fil des petits mots d'avertissement accompagnés de regards étonnés. La plupart ont même un air légèrement désapprobateur en me voyant entreprendre l'ascension seule et/ou ainsi équipée. Les crampons et le piolet étaient pourtant les seuls équipements recommandés ? Je penche, mais j'espère me tromper, pour un regard un peu macho sur le fait qu'une jeune femme parte seule à l'aventure. Je suis assez convaincue qu'un homme de mon âge marchant seul n'attirerait pas autant l'attention. 

Et puis finalement, je ne suis pas seule. Je finis par me greffer, peu avant l'arrivée, à la cordée de jeunes espagnols, qui ont l'air très gentils puisque, voyant mon inquiétude naissante suite à tous ces avertissements quant à la difficulté de l'ascension, me proposent de m'encorder avec eux. Je refuse gentiment car je n'en vois pas l'intérêt et surtout je n'ai pas l'habitude, mais je suis ravie de rester avec eux jusqu'au bout, cela me rassure et c'est plus sympa !

La plaine de Marboré, refuge de Tuquerouye

Plaine et lac du Marboré, brèche et refuge de Tuquerouye, lac des Gloriettes et massif du Néouvielle

La neige étant toujours molle, nul besoin de trop taper des pieds pour y enfoncer les crampons et assurer ses appuis, il faut simplement faire attention à pas les faire accrocher aux guêtres ou au pantalon à chaque pas. Cela n'a l'air de rien mais dans une pente pareille, ce serait la chute assurée en cas de réel "accrochage". En arrivant au niveau du pierrier émergeant du couloir enneigé, nous prenons bien garde à éviter d'éventuelles pierres envoyées vers le bas par les quelques personnes qui ont choisi de traverser dans la caillasse plutôt que de continuer dans la neige. Nous hésitons brièvement à faire de même, mais, constatant que l'avancée dans la neige se déroule bien, nous continuons ainsi jusqu'au sommet. C'est donc accompagnée de Salva, Adri et Llorent que j'atteins ce fabuleux objectif, le troisième plus haut sommet de la chaîne pyrénéenne. Il est alors 12h30, ce qui veut dire que j'ai effectué l'ascension en moins de 3h30 au lieu de 4h. Nous voilà à présent sur un super spot de pique-nique ! Le panorama est extraordinaire, et pour couronner le tout le ciel est parfaitement dégagé. Au nord s'étale la plaine de Marboré, avec son lac glacé ; dans le même axe, la brèche de Tuquerouye et son incroyable refuge perché, dans lequel je passerai la dernière nuit de mon trek ; et enfin derrière, le lac des Gloriettes et le massif du Néouvielle. Dans l'axe du couloir d'ascension et de l'étang glacé, au nord-ouest, trône le Cylindre du Marboré, 3325m, et on aperçoit aussi en fond le Vignemale, 3298m. Au sud-sud-est se dessinent les magnifiques courbes du canyon d'Añisclo et de ses gorges ; tout au fond se devine le grand lac de Mediano. Au sud-ouest on a une belle vue sur le canyon d'Ordesa, la Punta Tobacor et le Pic Milaris. A l'ouest-sud-ouest, on aperçoit la fin de la faja de las flores, le lapiaz de l'Esmoladera traversé la veille, le pla de Milaris, les sommets de l'Otal et de la Tendeñera, et enfin le Taillon.

El Cilindro

Le Cylindre du Marboré au-dessus de l'étang glacé, et le Vignemale au fond à gauche


Vue sur le Canyon d'Añisclo

Au sud-sud-est : Le profond canyon d'Añisclo


Le Canyon d'Ordesa

Au sud-ouest : la Punta Tobacor et le canyon d'Ordesa


Ordesa Gavarnie

A l'ouest-sud-ouest : le terrain de jeu des étapes 1 et 3

Nous sommes dans les derniers à profiter du sommet. Je me dis qu'il est bien dommage de ne pas y passer un peu plus de temps quand la météo est si bonne, la neige étant déjà molle. Après un sobre repas, de rapides appels à nos proches et quelques photos héroïques, mes compagnons de route du jour et moi redescendons dans le vertigineux couloir avec toujours autant de précautions. A l'approche de l'étang glacé, le plus dur est passé, la neige est devenue une véritable soupe et nous finissons par avancer à grands pas glissés dans cette zone où le danger est écarté. L'ambiance est bon enfant, la pratique de l'espagnol depuis trois jours m'a permis de retrouver mon bon niveau et d'entretenir des conversations aisément, et ainsi réellement sympathiser avec mes trois camarades qui ont mon âge.


Bajada Monte Perdido

Dans la descente vers le lac gelé : mes "amics de Perdut" !

La descente est agréable en cette belle journée, le temps est très doux, le vent est nul (nous étions à nouveau en t-shirt à 3000m). Mais soudain quelque chose vient perturber le ciel azur. C'est encore le gypaète barbu ! Sans doute le même qu'hier d'ailleurs. Ni une, ni deux, je balance mon sac à dos d'un geste théâtral pour en extirper mon appareil, et réussis une nouvelle fois à réaliser une photo que j'estime satisfaisante du casseur d'os. Quelle chance ! Un peu plus bas, c'est une marmotte qui se tient au bord du sentier, toujours plus près, toujours moins farouche que les jours précédents. Vers 16h30, après environ 2h45 de descente sans se presser, nous regagnons le refuge et profitons de cette fin d'après-midi pour nous reposer et nous rafraîchir dans le barranco de Goriz, dont l'eau est froide à souhait. Il paraît que c'est bon pour la récupération musculaire !

Les rencontres et échanges avec les autres randonneurs se poursuivent dans la soirée, je suis contente de profiter enfin de ces moments de convivialité. Ils viennent conclure une très belle journée durant laquelle j'ai donc inscrit un quatrième sommet à mon palmarès des "plus de 3000m", et pas des moindres !


Quebrantahuesos

Encore le Gypaète barbu !!


Etape 5 : Refuge de Goriz - Refuge de Piñeta

Me voilà partie à 8h30, une heure de départ un peu plus raisonnable que les jours précédents. Cela vaut mieux car une longue étape m'attend aujourd'hui. Pour rejoindre la vallée de Piñeta et son refuge par le GR11, ce sont 13km, 1000m de montée et 1900m de descente que je devrai parcourir. Il y en a pour 8h30 de marche, selon le panneau au départ de Goriz.

Le passage par la faja de las Olas, lui, permet d'arriver à destination en moins de 12km et environ 600m de dénivelé positif seulement, mais il comporte des difficultés techniques. C'est un itinéraire spectaculaire avec des passages chaînés. On m'a mise en garde une première fois sur la nécessité d'une bonne météo avant de m'y engager, avant que je démarre ma semaine de trek. En effet, les passages rocheux exposés deviennent glissants en cas de temps humide. Il y a bien des chaînes mais avec mon sac chargé, cela pourrait être trop compliqué. Hier au refuge de Goriz, j'ai demandé l'avis des gérants qui m'ont clairement incitée à renoncer à cet itinéraire, m'annonçant de la neige au niveau de la faja. J'opterai donc pour la longue étape et son fort dénivelé.

Soum de Ramon Pic d'Anisclo

Tour de Goriz et Mont Perdu, Pic d'Anisclo et Punta de las Olas

Le ciel est toujours dégagé en ce cinquième jour de marche, ma bonne étoile me suit toujours, semble-t-il. Le col d'Arrablo est rapidement atteint, après 40 min et moins de 200m de dénivelé. C'est ici que se séparent les deux itinéraires. C'est en direction de Fuen blanca, et plus généralement du canyon d'Añisclo, que je descends. Après le grand pli calcaire du col d'Arrablo, le sentier se poursuit dans la prairie, très confortable dans un premier temps. Je suis au pied des beaux sommets que sont le pic d'Añisclo (ou Soum de Ramon) et la punta de las Olas, voisins du Mont Perdu. Mais le terrain devient accidenté en descendant au barranco Arrablo à cause des brusques cassures du terrain calcaire et des marches très abruptes qu'il faut alors descendre. Je me retrouve régulièrement gênée par mes bâtons, obligée de m'aider de mes mains pour passer sans encombre. L'occasion de mieux admirer la flore locale, comme le saxifrage des Pyrénées, typique des terrains calcaires et endémique de la région.


Saxifrage des Pyrénées

Saxifrage des Pyrénées

Je commence à trouver ce sentier bien pénible, j'ai la sensation de progresser trop lentement, j'aimerais prendre moins de précautions dans cette descente et allonger un peu le pas, mais c'est impossible. Les balises du GR11, si rapprochées les unes des autres, continuent de mener vers le fond du barranco dans un escalier beaucoup trop raide à mon goût. J'imagine qu'il est cependant bien moins gênant de parcourir ce tronçon en sens inverse : avec des bâtons et un gros sac, je préfère grimper en m'aidant des mains que descendre. Je manque d'entrain, d'autant que je sais l'étape du jour longue et son dénivelé important. Heureusement, la forme physique, elle, est au top, je me sens mieux acclimatée à l'altitude au bout de 5 jours de marche. Mes muscles et articulations ne me posent pas de soucis non plus, à part mon omoplate douloureuse selon les jours.

A l'approche du ruisseau, j'aperçois un groupe de randonneurs, que je finis par rattraper peu après. Mais je les dépasse et me retrouve à nouveau seule pour marcher. Le sentier, à l'image du paysage, a bien changé d'aspect depuis la traversée du barranco d'Arrablo. Il est bien plus "roulant", bien qu'un peu envahi par les herbes hautes qui le bordent. J'essaie de faire abstraction des démangeaisons qu'elles causent à mes mollets. J'ai connu des chemins bien plus difficiles, bien sûr, mais aujourd'hui, sur un sentier de grande randonnée, je m'attendais à mieux.

Le paysage est donc devenu totalement verdoyant, se pare de centaines d'Iris des Pyrénées peu avant d'arriver à Fuen blanca. C'est ici que le barranco Arrablo se jette dans le Rio Bellos, qui, avec l'aide d'autre affluents, creuse le magnifique et tortueux canyon d'Añisclo.


Fuen blanca

Iris des Pyrénées depuis la Fuen blanca

Mallos de Lacai

Mallos de Lacai

Iris des Pyrénées

Iris des Pyrénées

Fuen Blanca

Fuen Blanca




J'entre ici dans un nouvel univers assez féérique, car après le par-terre abondamment fleuri, je découvre une cascade, première d'une impressionnante série jusqu'au col d'Añisclo. Elle se déverse dans une magnifique vasque à l'eau bleu turquoise. Je m'y arrête le temps de prendre un en-cas, profitant de son glou-glou apaisant. Un azuré des mouillères vient se poser sur ma main et se laisse photographier sous tous les angles. Je vois maintenant cette étape sous un jour meilleur. Mes sens sont exaltés. Pour moi, le plaisir ressenti en montagne est le fruit de l'immersion dans un paysage à la fois visuel, sonore, et même olfactif. J'associe la randonnée dans ce milieu au bruissement du vent dans les pins à crochet, à celui de l'écoulement des torrents, à l'odeur des plantes comme le thym serpolet et le genêt à balais, et même celle des bouses séchées. 

A 11h15, il est temps de repartir. Le col est annoncé à 2h25 de marche, et se situe 800m plus haut, et le refuge à 6h15 encore. J'espère cependant être un peu plus rapide. Le sentier monte en pente raide après Fuen Blanca, mais le cadre est idyllique. Le Rio Bello porte très bien son nom puisque qu'il forme sans cesse de superbes cascades et vasques comme la première où je me suis arrêtée. L'eau turquoise côtoie l'herbe bien verte et de beaux affleurements rocheux aux teintes ocres. Au bout d'une demi-heure, le sentier devient presque plat pendant un moment, j'observe alors sur le rio des blocs erratiques transportés par un ancien glacier. Une autre particularité géologique apparaît encore un peu plus loin : l'érosion de l'eau qui s'écoule a creusé la roche en sculptant de belles et régulières vagues, au gré des ondulations du ruisseau. Je me trouve maintenant dans la montée finale jusqu'au col d'Añisclo, la pente est redevenue bien raide. Je parviens au col dans les temps indiqués, soit à 13h45. Il est largement temps de manger à présent, mais je préférais attendre d'être tout en haut pour déjeuner devant un magnifique panorama.

Cascades vers col d'Anisclo

Multiples cascades et blocs erratiques en direction du col d'Anisclo

Erosion Anisclo

L'érosion provoquée par l'écoulement du ruisseau Bellos sous le col d'Anisclo

Je découvre maintenant la vallée de Pineta, le pic de la Munia, mais aussi les faces est de la Punta de las Olas et du Mont Perdu. Je parcours les derniers mètres qui me séparent du col, à la recherche d'un endroit confortable où m'assoir, et finis par rencontrer un couple d'allemands charmants qui réalisent la traversée par le GR11, lourdement chargés. Je m'assois à côté d'eux pour prendre mon repas et nous entamons la conversation. Comme d'habitude j'éprouve de grandes difficultés à trouver mes mots en anglais après 4 jours à parler et même penser en espagnol. Nous discutons de nombreux sujets et notamment de l'actualité brûlante du covid qui paralyse nos sociétés, mais avant tout nous parlons randonnée bien sûr. Naturellement nous abordons le fait que je randonne seule pour plusieurs jours et je leur parle de ma traversée des Pyrénées. Eux sont en autonomie avec leur tente et leurs vivres, ce qui explique un peu le poids et le volume de leurs sacs. Ils me disent avoir eu de grandes difficultés à grimper dans le raide pierrier juste en-dessous du col, mais surtout plus bas dans des passages d'escalade où leur chargement et les bâtons ont été encombrants. Il est vrai qu'il reste 1200m de dénivelé à pic, puisque le refuge se trouve à 4 km seulement, je veux bien croire que la descente n’est pas de tout repos. Je souhaite bonne continuation à ce charmant couple, et m’apprête à repartir. Le temps de cette pause, les nuages qui avaient commencé à bourgeonner au-dessus des crêtes ont évolué. Ce n’était que de blancs cumulus durant mon ascension, mais à présent leur couleur est sans équivoque quant à leur intention. L’orage approche… Mais je serai plus en sécurité une fois en-dessous du col.

Je m’engage dans la très raide et caillouteuse descente direction Pineta. Le terrain est aride et très accidenté, entre le pierrier ocre qui peut entraîner des glissades, et les plus gros blocs qui obligent à nouveau à descendre des sortes de marches par grandes enjambées. Le genre de sentier qu’il vaut mieux parcourir en montant. Au bout de quelques minutes, j’aperçois une femme faisant une pause au bord du sentier, deux lacets plus bas. Nous nous saluons à distance, et échangeons quelques mots en espagnol. J’ai alors la sensation de faire de belles phrases bien fluides. Je lui explique mon itinéraire et la rejoins en contre-bas. Elle me demande alors d’où je viens, car mon accent ne lui évoque aucune région particulière. C’est quand elle me dit sa surprise d’apprendre que je ne suis pas espagnole que je comprends qu’effectivement, mes 5 jours à pratiquer la langue m’ont bien fait progresser. A son tour, elle m’explique qu’elle allait au col mais que vu l’orage menaçant, elle va finalement redescendre à Piñeta pour cette fois. Myriam vient de la Rioja et apprécie comme moi la montagne en solitaire. Nous redescendons ensemble à très bon rythme, parlant de botanique et de beaux massifs où randonner. Le paysage redevient vert mais les difficultés ne sont pas terminées puisque nous arrivons aux fameux tronçons où l’usage des mains est obligatoire, et toujours peu aisé dans le sens de la descente. Heureusement, Myriam qui n’est pas lourdement chargée m’aide un peu en me prenant les bâtons lorsqu’ils deviennent trop gênants. Nous sommes bien descendues et l’orage n’a pas éclaté. Nous sommes définitivement en sécurité. Je commence à ressentir la longueur de l’étape mais la présence de Myriam fait passer le temps et la distance plus vite. Arrivées dans la vallée de Piñeta, il faut encore parcourir 4 km… ou bien traverser le rio Cinca à pied et en finir avec cette longue étape ! Nous n’hésitons pas bien longtemps, et je suis les pas de Myriam qui est déjà passée par là et me guide jusqu’au refuge avant de quitter la vallée par la route. Le refuge est très accueillant avec son dortoir avec des compartiments séparés et je vais faire une sieste bien méritée. Ce fut une belle étape mais sur un terrain très accidenté !

Avec le recul, quand je repense à tous les tronçons de GR11 que j'ai pu emprunter lors de ma traversée des Pyrénées, je trouve celui-ci particulièrement éprouvant et technique, de par la longueur de l'étape bien sûr, mais surtout à cause de ses nombreux passages abrupts où les mains sont indispensables à la progression. En effet, j'avais jusqu'alors un souvenir bien différent de ce chemin de grande randonnée : de larges sentiers, très bien balisés et sans difficultés techniques.