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Etape 4 : Ascension du Mont Perdu

Après une nouvelle nuit sous la tente, un peu inconfortable cette fois-ci, je me sens tout de même en peine forme pour attaquer cette nouvelle journée. Il le faut car c'est aujourd'hui que je m'attaque au 3e sommet des Pyrénées, avec ses 3355m, j'ai nommé le Mont Perdu ! Ce n'est pas tant le dénivelé qui m'impressionne, 1180m étant tout à fait dans mes cordes ; mais plutôt le passage du très raide couloir menant au sommet, réputé pour demander beaucoup d'attention, et enneigé en cette période. 

Je démarre à 9h passées de quelques minutes, après avoir déchargé une grande partie de mon barda dans un casier (payant) du refuge, puisque je reviendrai à nouveau y passer la nuit. Me voilà toute légère pour cette ascension de haute altitude ; voilà qui devrait faciliter un peu les choses ! La montée au Taillon trois jours auparavant s'était faite dans la douleur, j'étais alors écrasée par le poids du sac et en manque d'oxygène pour mon premier jour à 3000m.

Je constate que je suis la dernière à partir pour l'ascension, plusieurs randonneurs sont déjà partis en direction du Perdu, mais je les ai tous perdus de vue à présent. Il est en effet un peu tard, mais la journée ne s'annonce pas bien longue avec 4h d'ascension théoriques et une descente qui devrait être bien plus rapide. Mais c'est surtout le temps clément prévu par la météo qui me rassure sur cet horaire de départ.

Sous le Cylindre du Marboré

Sous le Cylindre du Marboré

Pour commencer il suffit de partir du refuge en suivant l'axe du Barranco de Goriz. Seulement voilà, je me positionne un peu trop au sud-ouest du refuge, côté terrasse, et ne trouve que le GR11 qui va vers le col de Arrablo. Je m'y engage mais retourne en arrière voyant que la direction est mauvaise. Je n'aperçois toujours pas de sentier partant en direction du Mont Perdu, je piétine un peu puis repars à nouveau sur le GR11. Je décide cependant de m'en éloigner en suivant quelques cairns ; je prends la tangente en espérant finir par croiser le bon chemin. Après un léger détour sur ce semblant de sentier et quelques coupes dans l'herbe, je trouve enfin le balisage qui mène à mon objectif du jour.

Je m'élève rapidement pendant une heure environ, jusqu'à rencontrer un petit passage technique : il faut se hisser à l'aide d'une corde le long d'une petite paroi verticale. Le plus délicat est peut-être de ne pas se faire d'entorse à la cheville sur les quelques pierres bancales placées au départ. Elles ont été amoncelées ici pour permettre de gagner un peu de hauteur, afin de franchir l'obstacle. L'ascension continue et les névés apparaissent aux alentours de 2900m, sur ce versant plein sud. Je chausse alors les crampons pour traverser cette neige déjà ramollie, et aperçois enfin au loin d'autres randonneurs que je semble rattraper. Au bout de 2h20 de montée au lieu des 3h annoncées, je parviens à l'étang glacé, situé entre le Cylindre du Marboré et le Mont Perdu. Son niveau semble être au plus bas, il est ridiculement petit en ce début de mois de juillet, à la fois glacé et recouvert de neige.

Ultime montée au Mont Perdu

Le raide couloir menant au sommet

Je retrouve alors quelques randonneurs, certains qui redescendent déjà de leur ascension, d'autres en chemin vers le sommet, comme moi. Nous nous trouvons donc au pied du fameux couloir final, bien enneigé, et effectivement très pentu. Il faut commencer par cheminer sur une petite crête sur la droite, puis changer de côté et longer la partie gauche du couloir. Le chemin est matérialisé par les profondes traces de pas des uns et des autres. Comme tout le monde l'emprunte et que le souffle est rendu difficile par l'altitude et la pente, cela forme un goulot d'étranglement. Ceux qui montent n'ont pas tous le même rythme et il faut réussir à croiser en sécurité ceux qui descendent. Chacun avance donc très précautionneusement dans ces ultimes 360m de dénivelé. Trois espagnols sont carrément encordés, et équipés de casques. Mon premier réflexe est de me dire que je suis inconsciente de ne pas avoir fait de même, que je suis insuffisamment préparée, puis, tout de même, j'observe tous les autres et constate qu'aucun n'est équipé de la sorte. J'hésite à doubler la cordée que j'ai rattrapée sans trop forcer, mais je me ravise et reste derrière, économisant mon souffle et assurant chacun de mes pas. Au fur et à mesure que je croise des randonneurs, j'ai la vague sensation d'être perçue comme inconsciente au fil des petits mots d'avertissement accompagnés de regards étonnés. La plupart ont même un air légèrement désapprobateur en me voyant entreprendre l'ascension seule et/ou ainsi équipée. Les crampons et le piolet étaient pourtant les seuls équipements recommandés ? Je penche, mais j'espère me tromper, pour un regard un peu macho sur le fait qu'une jeune femme parte seule à l'aventure. Je suis assez convaincue qu'un homme de mon âge marchant seul n'attirerait pas autant l'attention. 

Et puis finalement, je ne suis pas seule. Je finis par me greffer, peu avant l'arrivée, à la cordée de jeunes espagnols, qui ont l'air très gentils puisque, voyant mon inquiétude naissante suite à tous ces avertissements quant à la difficulté de l'ascension, me proposent de m'encorder avec eux. Je refuse gentiment car je n'en vois pas l'intérêt et surtout je n'ai pas l'habitude, mais je suis ravie de rester avec eux jusqu'au bout, cela me rassure et c'est plus sympa !

La plaine de Marboré, refuge de Tuquerouye

Plaine et lac du Marboré, brèche et refuge de Tuquerouye, lac des Gloriettes et massif du Néouvielle

La neige étant toujours molle, nul besoin de trop taper des pieds pour y enfoncer les crampons et assurer ses appuis, il faut simplement faire attention à pas les faire accrocher aux guêtres ou au pantalon à chaque pas. Cela n'a l'air de rien mais dans une pente pareille, ce serait la chute assurée en cas de réel "accrochage". En arrivant au niveau du pierrier émergeant du couloir enneigé, nous prenons bien garde à éviter d'éventuelles pierres envoyées vers le bas par les quelques personnes qui ont choisi de traverser dans la caillasse plutôt que de continuer dans la neige. Nous hésitons brièvement à faire de même, mais, constatant que l'avancée dans la neige se déroule bien, nous continuons ainsi jusqu'au sommet. C'est donc accompagnée de Salva, Adri et Llorent que j'atteins ce fabuleux objectif, le troisième plus haut sommet de la chaîne pyrénéenne. Il est alors 12h30, ce qui veut dire que j'ai effectué l'ascension en moins de 3h30 au lieu de 4h. Nous voilà à présent sur un super spot de pique-nique ! Le panorama est extraordinaire, et pour couronner le tout le ciel est parfaitement dégagé. Au nord s'étale la plaine de Marboré, avec son lac glacé ; dans le même axe, la brèche de Tuquerouye et son incroyable refuge perché, dans lequel je passerai la dernière nuit de mon trek ; et enfin derrière, le lac des Gloriettes et le massif du Néouvielle. Dans l'axe du couloir d'ascension et de l'étang glacé, au nord-ouest, trône le Cylindre du Marboré, 3325m, et on aperçoit aussi en fond le Vignemale, 3298m. Au sud-sud-est se dessinent les magnifiques courbes du canyon d'Añisclo et de ses gorges ; tout au fond se devine le grand lac de Mediano. Au sud-ouest on a une belle vue sur le canyon d'Ordesa, la Punta Tobacor et le Pic Milaris. A l'ouest-sud-ouest, on aperçoit la fin de la faja de las flores, le lapiaz de l'Esmoladera traversé la veille, le pla de Milaris, les sommets de l'Otal et de la Tendeñera, et enfin le Taillon.

El Cilindro

Le Cylindre du Marboré au-dessus de l'étang glacé, et le Vignemale au fond à gauche


Vue sur le Canyon d'Añisclo

Au sud-sud-est : Le profond canyon d'Añisclo


Le Canyon d'Ordesa

Au sud-ouest : la Punta Tobacor et le canyon d'Ordesa


Ordesa Gavarnie

A l'ouest-sud-ouest : le terrain de jeu des étapes 1 et 3

Nous sommes dans les derniers à profiter du sommet. Je me dis qu'il est bien dommage de ne pas y passer un peu plus de temps quand la météo est si bonne, la neige étant déjà molle. Après un sobre repas, de rapides appels à nos proches et quelques photos héroïques, mes compagnons de route du jour et moi redescendons dans le vertigineux couloir avec toujours autant de précautions. A l'approche de l'étang glacé, le plus dur est passé, la neige est devenue une véritable soupe et nous finissons par avancer à grands pas glissés dans cette zone où le danger est écarté. L'ambiance est bon enfant, la pratique de l'espagnol depuis trois jours m'a permis de retrouver mon bon niveau et d'entretenir des conversations aisément, et ainsi réellement sympathiser avec mes trois camarades qui ont mon âge.


Bajada Monte Perdido

Dans la descente vers le lac gelé : mes "amics de Perdut" !

La descente est agréable en cette belle journée, le temps est très doux, le vent est nul (nous étions à nouveau en t-shirt à 3000m). Mais soudain quelque chose vient perturber le ciel azur. C'est encore le gypaète barbu ! Sans doute le même qu'hier d'ailleurs. Ni une, ni deux, je balance mon sac à dos d'un geste théâtral pour en extirper mon appareil, et réussis une nouvelle fois à réaliser une photo que j'estime satisfaisante du casseur d'os. Quelle chance ! Un peu plus bas, c'est une marmotte qui se tient au bord du sentier, toujours plus près, toujours moins farouche que les jours précédents. Vers 16h30, après environ 2h45 de descente sans se presser, nous regagnons le refuge et profitons de cette fin d'après-midi pour nous reposer et nous rafraîchir dans le barranco de Goriz, dont l'eau est froide à souhait. Il paraît que c'est bon pour la récupération musculaire !

Les rencontres et échanges avec les autres randonneurs se poursuivent dans la soirée, je suis contente de profiter enfin de ces moments de convivialité. Ils viennent conclure une très belle journée durant laquelle j'ai donc inscrit un quatrième sommet à mon palmarès des "plus de 3000m", et pas des moindres !


Quebrantahuesos

Encore le Gypaète barbu !!


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