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Etape 3 : Torla - Refuge de Goriz

Aujourd'hui, pas d'hésitation : je vais à nouveau faire du stop pour rejoindre la prairie d'Ordesa. Je me poste donc en face de l'hôtel, masque chirurgical sur le visage et pouce levé. Une voiture ne tarde pas à s'arrêter, cette fois-ci c'est une famille composée de deux parents, une jeune fille et un petit chien qui ont la gentillesse de me conduire jusqu'au départ de mon étape. Eux vont se balader dans le canyon d'Ordesa à la journée, nous partons donc tous du parking de la Pradera. Il est un peu plus de 9h. Pour prendre le sentier qui grimpe à la Vire des fleurs, il faut revenir un peu sur ses pas depuis le parking. L'étape démarre comme elle s'est terminée hier : à l'ombre dans la forêt, mais de l'autre côté de la vallée cette fois. La pente est toujours aussi raide : quelques 1000m me séparent du début de la Vire, sur une courte distance. Je partage le sentier avec des traileuses, qui me dépassent bien rapidement en courant, et quelques rares randonneurs. Je sors de la forêt vers 10h au milieu des iris des Pyrénées et découvre alors le Tozal de Mallo (2255m), ce drôle de promontoire vertical, éclairé par le soleil du matin. Un ami m'a fortement recommandé de m'y rendre avant de revenir vers Goriz, mais l'étape étant longue, je ne suis toujours pas sûre d'avoir le temps de réaliser ce petit détour. Quoi qu'il en soit, il est déjà magnifique vu d'en bas.
 

Tozal del mallo depuis la lisière de la forêt

Le Tozal del Mallo (à gauche) vu depuis la lisière de la forêt 

Le sentier évolue à présent en plein soleil et au milieu des genêts. Avant d'arriver à la Vire des fleurs, une difficulté m'attend : un passage difficile, au choix entre les clavillas de Carriata (broches plantées dans la roche afin de permettre le passage), que je n'ose pas entreprendre avec mon gros sac et sans mousquetons ; et la fajeta, vertigineuse mais moins technique. Mais je n'y suis pas encore : il y a encore un peu d'approche, et je piétine un peu à une bifurcation, ne voyant pas le "chemin" qui part à la verticale dans un passage où il faut s'aider des mains pour grimper. Une flèche l'indique pourtant mais ne voyant pas du tout le sommet du passage, je m'égare temporairement en continuant sur un sentier de chèvre (voire d'isard vu l'étroitesse) qui ne débouche nulle part. Finalement, cette zone en contrebas du cirque de Carriata est très verticale et il vaut mieux avoir les mains libres par endroits. Je finis par atteindre à 11h30 le début de la fajeta, itinéraire que j'ai donc préféré aux clavillas. C'est une étroite vire à flanc de montagne, équipée d'une main courante durant quelques dizaines de mètres pour nous protéger du vide qu'elle surplombe. Arrivée au Barranco de Salarons, le ruisseau qui naît en-dessous du cirque, me voilà à nouveau bloquée ; il y a une sorte de marche haute qui mène à la suite du sentier si l'on peut l'appeler ainsi, mais je ne suis pas sûre pour autant qu'il faille passer par là, car comme quelques minutes plus tôt, le passage ne saute pas aux yeux. Je cherche à me hisser mais je n'y parviens pas : c'est haut pour moi et surtout, le ravin est tout proche et je ne peux pas trop me permettre d'acrobaties... Mon chargement ne m'aide pas, je n'arrive pas à monter et surtout j'ai un doute sur le fait que ce soit le bon passage. Je reviens un peu sur mes pas, cherche un autre passage, attends, fais des aller-retours, désespère. Si seulement quelqu'un pouvait venir m'aider ! Malheureusement je crois que les personnes aperçues sur le sentier en contrebas se sont dirigées vers les clavillas... Je ne vais quand même pas devoir renoncer à cette étape magnifique à cause d'une difficulté que je n'ai vue mentionnée nulle part ! Puis au bout de quelques instants, ça y est, une petite famille arrive à mon niveau. Hourra ! Deux espagnols et leurs deux filles (la plus petite doit avoir 6-7 ans !) marchent d'un pas décidé et assuré. Je leur explique mes difficultés, ils passent donc devant moi par la marche que j'essayais de gravir, et me tendent la main pour que je me hisse à mon tour. C'est fou, c'est la deuxième fois que cela m'arrive en moins de 3 jours, je me sens vraiment empotée, comment se fait-il que je n'arrive pas à passer alors que les autres oui, est-ce ma petite taille, mon sac trop lourd et imposant ? Probablement un peu des deux. Ce passage était constitué de gradins étroits et donnant sur le vide, je ne trouvais pas la solution. Nous continuons tous les 5, je passe derrière la petite famille qui progresse bien vite, les parents chargés de gros sacs ou de porte-enfant, et l'aînée toute à son aise sans sac à dos et les mains libres (je l'envie !) dans cette muraille rocheuse. Elle est impressionnante tout de même. Il faut s'aider copieusement des mains jusqu'au cirque de Carriata, et je me demande si les clavillas sont vraiment plus techniques, en fin de compte.

Des isards bien curieux...

Les isards sont très curieux par ici !

12h30, nous voilà enfin dans le cirque. Il reste cependant un peu moins de 200m de dénivelé avant d'atteindre le début de la tant attendue vire des fleurs. Je laisse mes sauveurs au niveau du cirque et vais prendre ma pause déjeuner là-haut. Depuis ce replat calcaire, on aperçoit le Pic de Gabietou, relié par un col du même nom au Taillon, ce dernier franchi l'avant-veille. Alors que je reprends des forces, un homme s'approche, un athlétique montagnard de 75 ans en mode marche légère. Nous nous interrogeons sur nos itinéraires respectifs, comme je le fais souvent pour trouver des compagnons de route. Lui était parti en reconnaissance pour une future randonnée jusqu'à la vire des fleurs, mais en partant du col des tentes, cela lui fait une belle trotte ! Il est béarnais, montagnard aguerri et m'encourage chaleureusement dans mon périple. Nous discutons de l'enneigement du secteur : de mémoire d'homme dit-il, il n'a jamais vu une telle quantité à cette époque de l'année. Il est vrai que même sur les versants sud, les quantités sont importantes ! Alors que nous parlons, j'aperçois du mouvement du coin de l’œil : un isard s'approche de nous, puis deux, puis trois. Ils nous observent d'un air bien curieux, s'avancent sur des rochers en hauteur pour mieux nous toiser. L'appareil photo passe en mode mitraillette. Tout comme les névés, les isards ne sont pas encore totalement passés en mode estival, il leur reste une bonne quantité de leur pelage d'hiver.

Gabietou Faja de las flores

Le Pic du Gabietou

Vire des fleurs

Le départ de la Vire des fleurs

Après avoir passé un petit moment à nous observer mutuellement avec les isards, et une fois mon repas terminé, je décide de m'engager sur la vire des fleurs. Il est effectivement 14h, hors de question d'aller au Tozal del Mallo maintenant, d'autant que j'ai dépassé le sentier qui y menait, en contrebas. La distance qu'il me reste à parcourir jusqu'au refuge de Goriz n'est pas négligeable (10 kilomètres environ).

Tozal del Mallo

Le Tozal del Mallo, et la Peña de Otal depuis la Vire des fleurs

La vue est magnifique, je surplombe le Tozal del Mallo, aperçois de nouveau la Peña de Otal, les pentes à la fois verdoyantes et jaune vif par endroits des reliefs alentours. Le plus impressionnant reste le vide en contrebas, la pente abrupte sur toute la longueur du canyon. La vire des fleurs est une corniche creusée dans la montagne au bord du précipice. C'est loin d'être la corniche la plus étroite que j'ai vue, mais l'effet est garanti avec un paysage pareil. On peut la parcourir tranquillement, on se sent en sécurité sur le "large" sentier. En cette période de fonte des névés, l'eau ruisselle de la partie supérieure de la corniche. J'en profite, et bois quelques petites gorgées au passage, mieux vaut ne pas se priver quitte à avoir des restes dans la gourde à la fin de la journée. Soudain, quelque chose attire mon regard dans le ciel. Un très grand rapace de type vautour, à la queue cunéiforme... Il est reconnaissable entre tous, c'est bien le gypaète barbu ! Un de mes oiseaux préférés : relativement rare, surtout dans les Pyrénées qui ne comptent que 160 couples, c'est aussi le plus grand rapace d'Europe. Son régime alimentaire de charognard exclusif, consommant même les os, fait de lui l'ultime nettoyeur des montagnes, et lui vaut le surnom de "casseur d'os." Celui-ci me gratifie de quelques aller-retours avant de disparaître derrière la roche qui me surplombe.

Quebrantahuesos

Le gypaète barbu !!


Cotatuero descargador et Marboré

De bas en haut : Cirque de Cotatuero, Cirque del Descargador, Epaule, Pic et Cylindre du Marboré

Je chemine durant une heure et demi le long de la vire, qui se poursuit avec la vue sur le cirque de Cotatuero, dominé par le cirque del Descargador et les pics de Marboré. J'observe à nouveau des edelweiss au bord du sentier, ainsi qu'un accenteur alpin. Ce superbe itinéraire tient toutes ses promesses, tout en restant assez peu fréquenté, même si c'est sans doute dû à la crise sanitaire. Je rencontre tout de même quelques randonneurs espagnols (certains croisés la veille), un grand groupe et une petite famille de français.

15h30, me voilà à présent devant un autre monument géologique : le grand lapiaz d'Esmoladera. Il s'étend au pied du Descargador (2625m) et la brèche de Roland (2807m) franchie deux jours auparavant. Il faut traverser ce labyrinthe calcaire parsemé de failles et de crevasses, en s'aidant des cairns qui le parsèment. Je m'arrête à nouveau dans mon élan : de nombreux isards se montrent, une fois de plus. Toujours plus curieux, s'approchant toujours plus près, je n'en reviens pas. Je commence un peu à sentir la pression de l'heure qui tourne, mais comment ne pas s'attarder à les observer, à les photographier ? Ils rivalisent de poses majestueuses au-dessus de nous.

Isard Ordesa
En voilà encore un qui me surveille...

Je finis par m'engager sur le lapiaz. J'ai laissé toute compagnie humaine derrière moi, les uns restant au niveau du cirque de Cotatuero pour bivouaquer, les autres redescendant vers la prairie d'Ordesa. La traversée se déroule sans encombres, je l'effectue en visant le nord. Mais entre les observations d'isards et les pauses photos/ grignotage, il est à présent 16h30 lorsque j'atteins l'autre côté. Je suis censée continuer vers le nord et contourner le Descargador par l'ouest, avant de bifurquer plein est, rejoindre le col de Milaris et ainsi retrouver le sentier de l'avant-veille jusqu'à Goriz. C'est en tout cas ce que j'avais prévu. Mais d'une part, je ne repère pas le sentier grimpant dans les karsts, et d'autre part je visualise inconsciemment le refuge de Goriz à l'est, et me dirige instinctivement dans cette direction. Je me retrouve alors dans une sorte de grande prairie d'altitude, et passe au sud du Descargador. Je me sens bien seule et pas sûre de mon itinéraire. C'est dans ces moments-là que l'on aime croiser du monde. Mais je ne rencontre qu'une petite famille d'isards, deux adultes et un jeune, que j'effraie bien plus que les autres specimens vus dans la journée. Décidément, je suis venue randonner dans le Parc d'Ordesa pour des formations géologiques uniques, mais la faune et la flore ne sont pas en reste ! Je me souviendrai de cette abondance et de cette diversité, c'est la cerise sur le gâteau.

Lapiaz de la esmoladera

L'impressionnant lapiaz de la Esmoladera, le Taillon et la brèche de Roland au fond

Bien qu'en possession de ma carte 1/25000e, je ne comprends pas bien où je me trouve. J'ai trop fonctionné avec ma boussole interne, qui m'amène dans la direction du refuge mais pas pas l'itinéraire prévu, et je suis confuse. J'erre quelque peu dans la "prairie" qui se trouve être le cirque du Descargador, il y a bien quelques cairns, quelques semblants de sentiers dans l'herbe, mais ils me semblent monter à la punta Tobacor ou au pic de Milaris, je ne trouve pas mon chemin. Je finis tout de même par comprendre où je suis passée et cherche donc à remonter vers le nord retrouver le col du Descargador. Il me faut encore tatonner un peu, trouver enfin un passage par le bas du Barranco Rivereta, avant de le quitter pour tracer en diagonale jusqu'au col. Un hélicoptère vient troubler le silence qui règne en se posant sur le Descargador, j'espère que rien de grave n'est arrivé. A 18h30, j'aperçois soudain le sentier, et des randonneur.se.s ! Enfin me voilà sur le chemin que j'ai emprunté l'autre jour, il n'y a plus qu'à dérouler jusqu'au refuge. C'est fou mais malgré toutes ces heures de marche et ces errances, malgré l'heure qui tourne, mes jambes répondent toujours présentes, elles semblent capables de me porter jusqu'au bout du monde ! C'est une sensation assez jouissive que de se sentir en pleine possession de ses moyens physiques, sentir son corps qui répond, quoi qu'il arrive. La montagne me renforce !

J'adresse donc un grand sourire de loin aux randonneur.se.s, trop heureuse et soulagée de voir le bout de cette journée et de ne pas m'être perdue. J'ai envie de partager mon expérience avec d'autres personnes, je les regarde donc pour les saluer et les rattrape en vitesse. Mais je me fais tout bonnement ignorer ! Les 4 sexagénaires (à vue d’œil) tracent leur route sans plus de considération pour moi. Eh bien... tant pis ! Je finirai donc cette journée en solitaire.



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