L'itinéraire du jour commence sur une piste plane, en direction du pont du parking de la vallée de Piñeta, chemin que j'aurais dû emprunter hier si je n'avais pas traversé le Rio Cinca pour écourter l'étape. En regardant sur ma gauche, au sud-ouest, j'ai un bel aperçu des centaines de mètres descendus dans la forêt en fin de journée hier, avec Myriam. On aperçoit la cascade que nous avons traversée et qui nous a permis de nous désaltérer : le barranco de las Fayetas. Mais je remarque surtout la fin de la descente raide dans la caillasse plus haut, plus proche du col d'Anisclo.
A mi-hauteur, le sentier emprunté la veille entre le col d'Añisclo et le refuge |
Pour l'instant, l'objectif du jour est encore bien loin, ou plutôt bien haut. Je scrute les hauteurs en essayant de deviner la brèche et son refuge, derrière le balcon de Piñeta mais celui-ci occulte pour le moment le plateau glaciaire qui se trouve derrière. Chaque chose en son temps. Mais j'observe tout de même quelque chose qui ne me plaît guère : des nuages commencent à se former, à venir s'accrocher sur les sommets alentour. Cela m'inquiète un peu car j'imagine mal la situation s'améliorer, et je vais me retrouver en altitude cet après-midi. A mesure que j'avance jusqu'au parking de la vallée, le ciel devient complètement bouché et s'assombrit. Pourvu que je puisse atteindre mon objectif ce soir, je redoute de devoir prendre la décision de faire demi-tour... Pour l'instant cependant, il ne pleut pas donc l'heure n'est pas à ces considérations.
Le sentier plat bordé de magnifiques hêtres centenaires (au moins) se met à grimper dans la forêt, après le passage par une passerelle peu après le parking. A 10h, j'émerge de la forêt pour me trouver dans une prairie parsemée, encore un fois, d'iris des Pyrénées. Je constate avec soulagement que des éclaircies ont fait leur apparition pendant que j'évoluais sous la canopée. Voilà qui est encourageant à l'heure d'entamer la franche montée jusqu'au balcon de Piñeta.
Cirque et cascade de Piñeta |
Il y a en effet comme un mur, un rempart en face de moi, d'où s'écoule une cascade formant de jolis entrelas. Un gain d'altitude rapide semble se dessiner : plus ça monte raide, plus le dénivelé par heure est élevé ! Alors que le soleil qui s'est fait sa place et me réchauffe doucement, je sens un liquide glacé couler sur mes reins. Catastrophe, c'est ma poche à eau qui s'est mise à fuir ! Il semblerait que j'aie fini par manquer de délicatesse en la manipulant, et aie tiré trop fort sur le tuyau... Je dois donc la retourner. Je n'ai heureusement pas perdu une grande quantité d'eau, mais à présent je ne pourrai plus boire sans poser mon sac à dos.
Cette eau, il va falloir la gérer aujourd'hui. Il s'agit de rester hydratée durant l'effort mais aussi d'avoir des réserves pour passer la soirée et la nuit perchée dans la brèche, mais également pour marcher demain matin. Il m'est possible de récupérer de l'eau au lac glacé juste avant d'atteindre le refuge, mais il me faudra alors la faire bouillir. J'aime autant avoir un maximum d'eau claire.
Je me remets en route, croisant, dépassant de nombreux randonneurs venus en famille découvrir la cascade et la vallée de Piñeta. Le sentier forme des zig-zags serrés en terrain caillouteux, et se rapproche à plusieurs reprises d'un torrent émanant du lac glacé, tout en haut. Rapidement, je peux ainsi refaire les réserves d'eau, et tant pis pour le poids du sac à dos qui ne s'allège pas au fil de l'étape, comme j'en ai pourtant l'habitude, j'ai peur de manquer. Alors que je constate encore à quel point il est délicieux de s'abreuver d'eau fraîche tout droit sortie de la montagne quand on est assoiffé en randonnée, je trouve un peu plus loin sur le sentier un petit groupe de trois hommes dégustant des bières, en pleine ascension au soleil. Autant c'est une boisson que j'apprécie, autant pendant ou juste après l'effort, mon corps à moi ne réclame que de l'eau !
Derniers efforts avant d'atteindre le balcon de Piñeta... |
A 12h40, soit après 4h10 de marche et de pauses, j'atteins enfin le balcon de Piñeta, qui surplombe toute la vallée. Une bonne partie des randonneurs ici font l'aller-retour à la journée afin d'admirer cette vue. Mais je dois avouer que je ne lui trouve pas grand intérêt au regard de ce qui se trouve derrière, à savoir la sauvage plaine du Marboré. Après un coup d’œil rapide vers le bas afin de mieux voir tout le dénivelé gravi, j'admire le paysage enneigé de ce haut plateau perché à 2500m d'altitude. Je suis une nouvelle fois au pied du mont Perdu et du cylindre du Marboré, mais du côté de leur face nord à présent. Tout au bout du cirque de Marboré se trouvent le col d'Astazou et le col Swan, séparant les deux pics Astazou. D'ici, je ne peux toujours pas apercevoir le lac glacé, mais il y a en revanche une nouvelle fois des plis géologiques tout à fait remarquables à observer, en direction du pic de Piñeta. Je profite du point de vue pour avaler mon sandwich, mais sans trop m'attarder (quoique presque une heure !) car je ne suis pas tout à fait arrivée à destination et le temps est agité. De gros cumulus bourgeonnent à nouveau et le vent souffle assez fort. Je préfère terminer mon repas une fois en sécurité au refuge.
La plaine du Marboré se dévoile enfin |
Crête reliant le Grand Astazou au Pic de Piñeta |
Je cherche mon chemin des yeux, voyant quelques cairns mais qui semblent se diriger tout droit vers le col d'Astazou, en passant par le sud du lac. Je dois pour ma part atteindre son extrémité est avant de passer au nord pour arriver en bas de la brèche de Tuquerouye. En regardant attentivement ma carte, je me dirige comme je peux vers le lac et la brèche qui sont encore cachés. C'est finalement chose aisée car la distance est très courte et je peux marcher à peu près où je veux pour couper à travers le relief : j'évolue à présent en terrain schisteux très praticable, et, s'il est en partie recouvert par des névés, ces derniers ne posent aucun soucis à traverser. La neige est marquée par des auréoles causées par la pluie, mais son épaisseur reste assez importante. J'atteins rapidement l'extrémité du lac, et y récupère un peu d'eau qui me servira surtout à cuire mon repas du soir. Pour l'hydratation jusqu'au milieu de la matinée du lendemain, il me reste une bonne quantité d'eau grâce au torrent croisé durant l'ascension.
Lac glacé du Marboré, vers le col d'Astazou |
Lac glacé du Marboré, vers le balcon de Pineta et le mont Perdu |
Me voilà prête à grimper vers mon "hôtel cinq étoiles", perché là-haut dans la brèche, pour y passer