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Etape 6 : Refuge de Piñeta - Refuge de Tuquerouye

L'itinéraire du jour commence sur une piste plane, en direction du pont du parking de la vallée de Piñeta, chemin que j'aurais dû emprunter hier si je n'avais pas traversé le Rio Cinca pour écourter l'étape. En regardant sur ma gauche, au sud-ouest, j'ai un bel aperçu des centaines de mètres descendus dans la forêt en fin de journée hier, avec Myriam. On aperçoit la cascade que nous avons traversée et qui nous a permis de nous désaltérer : le barranco de las Fayetas. Mais je remarque surtout la fin de la descente raide dans la caillasse plus haut, plus proche du col d'Anisclo. 

Anisclo depuis Pineta

A mi-hauteur, le sentier emprunté la veille entre le col d'Añisclo et le refuge

Aujourd’hui, ce sont 1400m de dénivelé qui sont au programme, avec l'ascension du cirque de Piñeta, au plus proche de sa grande cascade, puis l'arrivée au balcon du même nom offrant une vue imprenable sur la vallée. Derrière lui, la plaine de Marboré, avec son lac glacé. Mais le clou du spectacle, ce sera le refuge : celui de la brèche de Tuquerouye, non gardé, et le plus haut et plus ancien des Pyrénées, rien que ça ! En dépit de ces titres, ce sont sans nul doute sa position perchée et son décor de carte postale, avec la vue sur la face nord du Mont Perdu, qui m'ont décidée à m'y rendre. Je suis toute excitée de passer la nuit là-bas. Ce sera également un moment privilégié d'isolement, de conditions de vie un peu plus spartiates, le temps d'une soirée. En effet le refuge est bien équipé, mais n'est pas alimenté en électricité ni en eau. J'aime ces moments qui me permettent une réelle immersion, une vraie connexion avec la montagne. Bien sûr le nec plus ultra quand on recherche cette communion reste le bivouac, mais voilà, il est très difficile pour moi de trouver du matériel qui me permette de tout emporter sans que cela ne représente un poids trop important rapporté au mien...

Pour l'instant, l'objectif du jour est encore bien loin, ou plutôt bien haut. Je scrute les hauteurs en essayant de deviner la brèche et son refuge, derrière le balcon de Piñeta mais celui-ci occulte pour le moment le plateau glaciaire qui se trouve derrière. Chaque chose en son temps. Mais j'observe tout de même quelque chose qui ne me plaît guère : des nuages commencent à se former, à venir s'accrocher sur les sommets alentour. Cela m'inquiète un peu car j'imagine mal la situation s'améliorer, et je vais me retrouver en altitude cet après-midi. A mesure que j'avance jusqu'au parking de la vallée, le ciel devient complètement bouché et s'assombrit. Pourvu que je puisse atteindre mon objectif ce soir, je redoute de devoir prendre la décision de faire demi-tour... Pour l'instant cependant, il ne pleut pas donc l'heure n'est pas à ces considérations.

Le sentier plat bordé de magnifiques hêtres centenaires (au moins) se met à grimper dans la forêt, après le passage par une passerelle peu après le parking. A 10h, j'émerge de la forêt pour me trouver dans une prairie parsemée, encore un fois, d'iris des Pyrénées. Je constate avec soulagement que des éclaircies ont fait leur apparition pendant que j'évoluais sous la canopée. Voilà qui est encourageant à l'heure d'entamer la franche montée jusqu'au balcon de Piñeta.

Cirque de Pineta

Cirque et cascade de Piñeta

Il y a en effet comme un mur, un rempart en face de moi, d'où s'écoule une cascade formant de jolis entrelas. Un gain d'altitude rapide semble se dessiner : plus ça monte raide, plus le dénivelé par heure est élevé ! Alors que le soleil qui s'est fait sa place et me réchauffe doucement, je sens un liquide glacé couler sur mes reins. Catastrophe, c'est ma poche à eau qui s'est mise à fuir ! Il semblerait que j'aie fini par manquer de délicatesse en la manipulant, et aie tiré trop fort sur le tuyau... Je dois donc la retourner. Je n'ai heureusement pas perdu une grande quantité d'eau, mais à présent je ne pourrai plus boire sans poser mon sac à dos.

Cette eau, il va falloir la gérer aujourd'hui. Il s'agit de rester hydratée durant l'effort mais aussi d'avoir des réserves pour passer la soirée et la nuit perchée dans la brèche, mais également pour marcher demain matin. Il m'est possible de récupérer de l'eau au lac glacé juste avant d'atteindre le refuge, mais il me faudra alors la faire bouillir. J'aime autant avoir un maximum d'eau claire.

Je me remets en route, croisant, dépassant de nombreux randonneurs venus en famille découvrir la cascade et la vallée de Piñeta. Le sentier forme des zig-zags serrés en terrain caillouteux, et se rapproche à plusieurs reprises d'un torrent émanant du lac glacé, tout en haut. Rapidement, je peux ainsi refaire les réserves d'eau, et tant pis pour le poids du sac à dos qui ne s'allège pas au fil de l'étape, comme j'en ai pourtant l'habitude, j'ai peur de manquer. Alors que je constate encore à quel point il est délicieux de s'abreuver d'eau fraîche tout droit sortie de la montagne quand on est assoiffé en randonnée, je trouve un peu plus loin sur le sentier un petit groupe de trois hommes dégustant des bières, en pleine ascension au soleil. Autant c'est une boisson que j'apprécie, autant pendant ou juste après l'effort, mon corps à moi ne réclame que de l'eau ! 

Raide montée balcon Pineta

Derniers efforts avant d'atteindre le balcon de Piñeta...

A 12h40, soit après 4h10 de marche et de pauses, j'atteins enfin le balcon de Piñeta, qui surplombe toute la vallée. Une bonne partie des randonneurs ici font l'aller-retour à la journée afin d'admirer cette vue. Mais je dois avouer que je ne lui trouve pas grand intérêt au regard de ce qui se trouve derrière, à savoir la sauvage plaine du Marboré. Après un coup d’œil rapide vers le bas afin de mieux voir tout le dénivelé gravi, j'admire le paysage enneigé de ce haut plateau perché à 2500m d'altitude. Je suis une nouvelle fois au pied du mont Perdu et du cylindre du Marboré, mais du côté de leur face nord à présent. Tout au bout du cirque de Marboré se trouvent le col d'Astazou et le col Swan, séparant les deux pics Astazou. D'ici, je ne peux toujours pas apercevoir le lac glacé, mais il y a en revanche une nouvelle fois des plis géologiques tout à fait remarquables à observer, en direction du pic de Piñeta. Je profite du point de vue pour avaler mon sandwich, mais sans trop m'attarder (quoique presque une heure !) car je ne suis pas tout à fait arrivée à destination et le temps est agité. De gros cumulus bourgeonnent à nouveau et le vent souffle assez fort. Je préfère terminer mon repas une fois en sécurité au refuge.

Plaine du marboré

La plaine du Marboré se dévoile enfin


Crête de la brèche de Tuquerouye

Crête reliant le Grand Astazou au Pic de Piñeta

Je cherche mon chemin des yeux, voyant quelques cairns mais qui semblent se diriger tout droit vers le col d'Astazou, en passant par le sud du lac. Je dois pour ma part atteindre son extrémité est avant de passer au nord pour arriver en bas de la brèche de Tuquerouye. En regardant attentivement ma carte, je me dirige comme je peux vers le lac et la brèche qui sont encore cachés. C'est finalement chose aisée car la distance est très courte et je peux marcher à peu près où je veux pour couper à travers le relief : j'évolue à présent en terrain schisteux très praticable, et, s'il est en partie recouvert par des névés, ces derniers ne posent aucun soucis à traverser. La neige est marquée par des auréoles causées par la pluie, mais son épaisseur reste assez importante. J'atteins rapidement l'extrémité du lac, et y récupère un peu d'eau qui me servira surtout à cuire mon repas du soir. Pour l'hydratation jusqu'au milieu de la matinée du lendemain, il me reste une bonne quantité d'eau grâce au torrent croisé durant l'ascension.

lac glacé Marboré

Lac glacé du Marboré, vers le col d'Astazou


Face nord Mont perdu

Lac glacé du Marboré, vers le balcon de Pineta et le mont Perdu

Me voilà prête à grimper vers mon "hôtel cinq étoiles", perché là-haut dans la brèche, pour y passer l'après-midi (il n'est que 14h) et la nuit. La montée est très raide mais se déroule bien. En vingt minutes, j'atteins le balcon du refuge et admire le lac en grande partie gelé qui s'étend sous mes pieds. C'est la carte postale que je m'étais imaginée. Un des plus beaux spots des Pyrénées pour faire une pause ou passer une nuit, à mon avis. Quel privilège d'être ici, loin de tout et dans un si beau décor ! Je suis tout de même pressée de découvrir l'intérieur du refuge... Je me dirige vers la porte.

Face nord Mont Perdu

Le lac glacé du Marboré depuis la brèche de Tuquerouye et le mont Perdu

Je suis tout à coup prise de panique : je n’arrive pas à enclencher le mécanisme de la porte qui est bien verrouillée ! Dans un premier temps je me dis que je n’ai plus qu’à attendre que d’autre randonneurs arrivent pour m’ouvrir, mais finalement après quelques secondes de manipulation je parviens à ouvrir cette fichue porte. Je découvre alors un refuge fort bien ordonné et doté de quelques ressources pour les randonneurs. Deux grandes tables occupent la première pièce qui comporte également un poêle et un fil pour étendre le linge. La deuxième partie constitue le dortoir avec trois étages de couchettes (12 couchages) et de nombreuses couvertures à disposition. Un écriteau et une urne invitent les randonneurs à payer leur participation à raison de 8€ la nuitée, ce que je fais bien volontiers.

Bonne nouvelle, je crois que je ne vais pas passer la soirée seule ! En effet, des affaires sont posées sur deux couchages, sans doute des randonneurs qui sont partis marcher plus loin après s’être délestés. En attendant leur retour, je décide de faire une sieste, qui me permettra, outre le repos, de tuer le temps.

Une heure et demie plus tard, alors que j’ai sombré dans un sommeil trop profond qui m’empêche d’émerger de moi-même, je suis enfin réveillée par des voix et le cliquetis du verrou de la porte. J’ai le temps de me rhabiller, descendre de la couchette, mais mes futurs compagnons n’ont toujours pas réussi à ouvrir, je m’en charge donc depuis l’intérieur. Voilà qui me rassure, je me sens moins empotée puisque, manifestement, ce loquet est difficile à ouvrir depuis l’extérieur ! Je fais alors la connaissance de deux espagnols quinquagénaires, ravie d’avoir quelqu’un à qui parler, et tant qu’à faire, en espagnol à nouveau !

Grande joueuse que je suis, je leur propose de faire un tarot, puisqu’il y a un jeu sur les étagères. Je l’avais oublié, mais les espagnols ne jouent pas au tarot… Je me propose quand même de leur expliquer, trop désireuse de jouer, mais je comprends vite qu’ils n’ont pas envie de se prendre la tête après toute cette marche. Il est vrai qu’il y a plus simple que le tarot… Nous décidons donc de jouer au menteur avec un jeu de cartes classique.

L'ambiance est bon enfant, la soirée s’écoule doucement. Avant de dîner, je refais un tour dehors, autour du refuge. L’espace y est extrêmement restreint, la brèche étant étroite et occupe quasiment entièrement par le refuge. Depuis cet après-midi, les nuages se sont légèrement dissipés, surtout vers le nord où le cirque d’Estaubé apparaît maintenant sous les rayons orangés du coucher de soleil. Le mont Perdu est un peu plus dégagé, lui aussi.

Refuge de Tuquerouye

Le refuge de Tuquerouye devant le Perdu


Cirque d'Estaubé depuis Tuquerouye

Vers le cirque et les Pics d'Estaubé

Après quelques minutes de contemplation, je rejoins mes compères pour un repas au réchaud que j'apprécie d'autant plus que le refuge est froid et humide. J'ai même enroulé mes jambes et mes pieds dans une couverture. Soudain, entre deux cuillères de repas lyophylisé, un homme nous rejoint. Il termine une longue journée de marche qui n'est en fait qu'une partie de son périple : il effectue la traversée par la HRP ! Génial, voilà une nouvelle occasion d'échanger sur cette expérience magique que j'ai vécue trois ans plus tôt. Nous commençons donc à discuter itinéraire, matériel... etc. En cette journée placée sous le signe de la gestion de l'eau de mon côté, il m'apprend alors qu'il ne boit quasiment jamais pendant ses randos, je n'en reviens pas. Puis au fil des échanges, Jacques me reconnaît : "Mais tu es Romane, dont j'ai lu le blog sur la traversée des Pyrénées !" Effectivement, durant sa préparation pour sa HRP, il est tombé sur mon blog qu'il a apparemment lu attentivement. Incroyable !

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