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Etape 5 : Refuge de Goriz - Refuge de Piñeta

Me voilà partie à 8h30, une heure de départ un peu plus raisonnable que les jours précédents. Cela vaut mieux car une longue étape m'attend aujourd'hui. Pour rejoindre la vallée de Piñeta et son refuge par le GR11, ce sont 13km, 1000m de montée et 1900m de descente que je devrai parcourir. Il y en a pour 8h30 de marche, selon le panneau au départ de Goriz.

Le passage par la faja de las Olas, lui, permet d'arriver à destination en moins de 12km et environ 600m de dénivelé positif seulement, mais il comporte des difficultés techniques. C'est un itinéraire spectaculaire avec des passages chaînés. On m'a mise en garde une première fois sur la nécessité d'une bonne météo avant de m'y engager, avant que je démarre ma semaine de trek. En effet, les passages rocheux exposés deviennent glissants en cas de temps humide. Il y a bien des chaînes mais avec mon sac chargé, cela pourrait être trop compliqué. Hier au refuge de Goriz, j'ai demandé l'avis des gérants qui m'ont clairement incitée à renoncer à cet itinéraire, m'annonçant de la neige au niveau de la faja. J'opterai donc pour la longue étape et son fort dénivelé.

Soum de Ramon Pic d'Anisclo

Tour de Goriz et Mont Perdu, Pic d'Anisclo et Punta de las Olas

Le ciel est toujours dégagé en ce cinquième jour de marche, ma bonne étoile me suit toujours, semble-t-il. Le col d'Arrablo est rapidement atteint, après 40 min et moins de 200m de dénivelé. C'est ici que se séparent les deux itinéraires. C'est en direction de Fuen blanca, et plus généralement du canyon d'Añisclo, que je descends. Après le grand pli calcaire du col d'Arrablo, le sentier se poursuit dans la prairie, très confortable dans un premier temps. Je suis au pied des beaux sommets que sont le pic d'Añisclo (ou Soum de Ramon) et la punta de las Olas, voisins du Mont Perdu. Mais le terrain devient accidenté en descendant au barranco Arrablo à cause des brusques cassures du terrain calcaire et des marches très abruptes qu'il faut alors descendre. Je me retrouve régulièrement gênée par mes bâtons, obligée de m'aider de mes mains pour passer sans encombre. L'occasion de mieux admirer la flore locale, comme le saxifrage des Pyrénées, typique des terrains calcaires et endémique de la région.


Saxifrage des Pyrénées

Saxifrage des Pyrénées

Je commence à trouver ce sentier bien pénible, j'ai la sensation de progresser trop lentement, j'aimerais prendre moins de précautions dans cette descente et allonger un peu le pas, mais c'est impossible. Les balises du GR11, si rapprochées les unes des autres, continuent de mener vers le fond du barranco dans un escalier beaucoup trop raide à mon goût. J'imagine qu'il est cependant bien moins gênant de parcourir ce tronçon en sens inverse : avec des bâtons et un gros sac, je préfère grimper en m'aidant des mains que descendre. Je manque d'entrain, d'autant que je sais l'étape du jour longue et son dénivelé important. Heureusement, la forme physique, elle, est au top, je me sens mieux acclimatée à l'altitude au bout de 5 jours de marche. Mes muscles et articulations ne me posent pas de soucis non plus, à part mon omoplate douloureuse selon les jours.

A l'approche du ruisseau, j'aperçois un groupe de randonneurs, que je finis par rattraper peu après. Mais je les dépasse et me retrouve à nouveau seule pour marcher. Le sentier, à l'image du paysage, a bien changé d'aspect depuis la traversée du barranco d'Arrablo. Il est bien plus "roulant", bien qu'un peu envahi par les herbes hautes qui le bordent. J'essaie de faire abstraction des démangeaisons qu'elles causent à mes mollets. J'ai connu des chemins bien plus difficiles, bien sûr, mais aujourd'hui, sur un sentier de grande randonnée, je m'attendais à mieux.

Le paysage est donc devenu totalement verdoyant, se pare de centaines d'Iris des Pyrénées peu avant d'arriver à Fuen blanca. C'est ici que le barranco Arrablo se jette dans le Rio Bellos, qui, avec l'aide d'autre affluents, creuse le magnifique et tortueux canyon d'Añisclo.


Fuen blanca

Iris des Pyrénées depuis la Fuen blanca

Mallos de Lacai

Mallos de Lacai

Iris des Pyrénées

Iris des Pyrénées

Fuen Blanca

Fuen Blanca




J'entre ici dans un nouvel univers assez féérique, car après le par-terre abondamment fleuri, je découvre une cascade, première d'une impressionnante série jusqu'au col d'Añisclo. Elle se déverse dans une magnifique vasque à l'eau bleu turquoise. Je m'y arrête le temps de prendre un en-cas, profitant de son glou-glou apaisant. Un azuré des mouillères vient se poser sur ma main et se laisse photographier sous tous les angles. Je vois maintenant cette étape sous un jour meilleur. Mes sens sont exaltés. Pour moi, le plaisir ressenti en montagne est le fruit de l'immersion dans un paysage à la fois visuel, sonore, et même olfactif. J'associe la randonnée dans ce milieu au bruissement du vent dans les pins à crochet, à celui de l'écoulement des torrents, à l'odeur des plantes comme le thym serpolet et le genêt à balais, et même celle des bouses séchées. 

A 11h15, il est temps de repartir. Le col est annoncé à 2h25 de marche, et se situe 800m plus haut, et le refuge à 6h15 encore. J'espère cependant être un peu plus rapide. Le sentier monte en pente raide après Fuen Blanca, mais le cadre est idyllique. Le Rio Bello porte très bien son nom puisque qu'il forme sans cesse de superbes cascades et vasques comme la première où je me suis arrêtée. L'eau turquoise côtoie l'herbe bien verte et de beaux affleurements rocheux aux teintes ocres. Au bout d'une demi-heure, le sentier devient presque plat pendant un moment, j'observe alors sur le rio des blocs erratiques transportés par un ancien glacier. Une autre particularité géologique apparaît encore un peu plus loin : l'érosion de l'eau qui s'écoule a creusé la roche en sculptant de belles et régulières vagues, au gré des ondulations du ruisseau. Je me trouve maintenant dans la montée finale jusqu'au col d'Añisclo, la pente est redevenue bien raide. Je parviens au col dans les temps indiqués, soit à 13h45. Il est largement temps de manger à présent, mais je préférais attendre d'être tout en haut pour déjeuner devant un magnifique panorama.

Cascades vers col d'Anisclo

Multiples cascades et blocs erratiques en direction du col d'Anisclo

Erosion Anisclo

L'érosion provoquée par l'écoulement du ruisseau Bellos sous le col d'Anisclo

Je découvre maintenant la vallée de Pineta, le pic de la Munia, mais aussi les faces est de la Punta de las Olas et du Mont Perdu. Je parcours les derniers mètres qui me séparent du col, à la recherche d'un endroit confortable où m'assoir, et finis par rencontrer un couple d'allemands charmants qui réalisent la traversée par le GR11, lourdement chargés. Je m'assois à côté d'eux pour prendre mon repas et nous entamons la conversation. Comme d'habitude j'éprouve de grandes difficultés à trouver mes mots en anglais après 4 jours à parler et même penser en espagnol. Nous discutons de nombreux sujets et notamment de l'actualité brûlante du covid qui paralyse nos sociétés, mais avant tout nous parlons randonnée bien sûr. Naturellement nous abordons le fait que je randonne seule pour plusieurs jours et je leur parle de ma traversée des Pyrénées. Eux sont en autonomie avec leur tente et leurs vivres, ce qui explique un peu le poids et le volume de leurs sacs. Ils me disent avoir eu de grandes difficultés à grimper dans le raide pierrier juste en-dessous du col, mais surtout plus bas dans des passages d'escalade où leur chargement et les bâtons ont été encombrants. Il est vrai qu'il reste 1200m de dénivelé à pic, puisque le refuge se trouve à 4 km seulement, je veux bien croire que la descente n’est pas de tout repos. Je souhaite bonne continuation à ce charmant couple, et m’apprête à repartir. Le temps de cette pause, les nuages qui avaient commencé à bourgeonner au-dessus des crêtes ont évolué. Ce n’était que de blancs cumulus durant mon ascension, mais à présent leur couleur est sans équivoque quant à leur intention. L’orage approche… Mais je serai plus en sécurité une fois en-dessous du col.

Je m’engage dans la très raide et caillouteuse descente direction Pineta. Le terrain est aride et très accidenté, entre le pierrier ocre qui peut entraîner des glissades, et les plus gros blocs qui obligent à nouveau à descendre des sortes de marches par grandes enjambées. Le genre de sentier qu’il vaut mieux parcourir en montant. Au bout de quelques minutes, j’aperçois une femme faisant une pause au bord du sentier, deux lacets plus bas. Nous nous saluons à distance, et échangeons quelques mots en espagnol. J’ai alors la sensation de faire de belles phrases bien fluides. Je lui explique mon itinéraire et la rejoins en contre-bas. Elle me demande alors d’où je viens, car mon accent ne lui évoque aucune région particulière. C’est quand elle me dit sa surprise d’apprendre que je ne suis pas espagnole que je comprends qu’effectivement, mes 5 jours à pratiquer la langue m’ont bien fait progresser. A son tour, elle m’explique qu’elle allait au col mais que vu l’orage menaçant, elle va finalement redescendre à Piñeta pour cette fois. Myriam vient de la Rioja et apprécie comme moi la montagne en solitaire. Nous redescendons ensemble à très bon rythme, parlant de botanique et de beaux massifs où randonner. Le paysage redevient vert mais les difficultés ne sont pas terminées puisque nous arrivons aux fameux tronçons où l’usage des mains est obligatoire, et toujours peu aisé dans le sens de la descente. Heureusement, Myriam qui n’est pas lourdement chargée m’aide un peu en me prenant les bâtons lorsqu’ils deviennent trop gênants. Nous sommes bien descendues et l’orage n’a pas éclaté. Nous sommes définitivement en sécurité. Je commence à ressentir la longueur de l’étape mais la présence de Myriam fait passer le temps et la distance plus vite. Arrivées dans la vallée de Piñeta, il faut encore parcourir 4 km… ou bien traverser le rio Cinca à pied et en finir avec cette longue étape ! Nous n’hésitons pas bien longtemps, et je suis les pas de Myriam qui est déjà passée par là et me guide jusqu’au refuge avant de quitter la vallée par la route. Le refuge est très accueillant avec son dortoir avec des compartiments séparés et je vais faire une sieste bien méritée. Ce fut une belle étape mais sur un terrain très accidenté !

Avec le recul, quand je repense à tous les tronçons de GR11 que j'ai pu emprunter lors de ma traversée des Pyrénées, je trouve celui-ci particulièrement éprouvant et technique, de par la longueur de l'étape bien sûr, mais surtout à cause de ses nombreux passages abrupts où les mains sont indispensables à la progression. En effet, j'avais jusqu'alors un souvenir bien différent de ce chemin de grande randonnée : de larges sentiers, très bien balisés et sans difficultés techniques.


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